Le carnaval épistolaire

de la Saint-Valentin

Fêtes religieuses et laïques rythment le calendrier. Certains de ces événements sont des occasions idéales d’échange de courrier et d’expression des sentiments. Le jour de l’an se prête aux souhaits de bonheur et d’espérance, le 1er avril permet de faire des facéties, mais aussi de badiner… Au début du 20ème siècle, les éditeurs de cartes postales français ont excellé dans l’émission d’illustrations portes bonheurs, amicales, comiques et amoureuses pour que leurs concitoyens dévoilent à date clé leurs émotions. Pour autant, il y a une fête qui semble avoir échappé au commerce français de la carte postale, une journée où les couples échangent mots doux et cadeaux pour prouver leur amour : la Saint-Valentin, célébrée le 14 février.

N.B.: L'accès à ces pages est libre et gratuit, mais les règles qui régissent l'édition concernant le droit de citation sont valables ici aussi! Les textes et les images qui lui sont empruntés devraient être suivis de la mention Chmura Sophie, « Le carnaval épistolaire de la Saint-Valentin », in cartes-postales de Rennes ou d'ailleurs, mis en ligne le 21 février 2018,

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La Saint-Valentin : une fête importante au 19ème siècle, mais pas en France…

Traditionnellement, le jour de la Saint-Valentin, le premier garçon qui frappe à la porte d’une jeune fille devient, pour un an, son Valentin. La plupart des journaux du 19ème siècle expliquent que « d’après une croyance généralement répandue dans toute l’Europe au moyen âge, le jour où l’Église honore la mémoire de saint Valentin, le 14 février, était une des fêtes les plus importantes de l’année »[1], mais qu’il en reste peu de traces en France. La tradition est surtout respectée en Angleterre, désigné comme « le pays des vieux usages »[2]. Sarcastique, le Figaro du 21 février 1856 s’amuse qu’ « ayant constaté qu’ici même quelques dames ne manquent pas de charité, plusieurs poètes romantiques et shakespeariens ont tenté de faire renaître à Paris la jolie coutume de la Saint-Valentin ; mais ils ont été très contrariés par une impossibilité inhérente au caractère des Valentines de Paris, - et qui consiste dans le peu d’habitude qu’elles ont de conserver pendant douze mois le même Valentin ». Le Journal officiel de l’Empire français reste plus sérieux et estime que « le temps et la sévérité croissante des mœurs ont fait disparaître cette coutume de tous les pays du continent, et elle n’a dû sans doute de subsister en Angleterre qu’à la liberté beaucoup plus grande qu’on y accorde aux jeunes filles »[3].

Le 14 février, jour de la Saint-Valentin « est, en Angleterre, le jour des surprises : c’est, en effet, un usage, dont l’origine se perd dans la nuit des temps, et dont les érudits n’ont jamais su donner d’explication plausible, d’envoyer, à pareil jour, à chacune des personnes dont on cultive la société, un souvenir anonyme. Ce souvenir, auquel celui qui l’envoie ne doit jamais joindre aucune indication qui puisse aider le destinataire à en deviner l’auteur, consiste essentiellement en une carte de souhaits, soit en vers, soit en prose, souvent posée sur un coussin de soie, et toujours entourée d’un ou plusieurs étages de papier-dentelle »[4]. Les origines de la Saint-Valentin en Angleterre sont très discutées, mais la tradition d’envoyer des messages anonymes aux êtres chers le 14 février a prospéré durant tout le 19ème siècle.

Pendant les deux dernières décennies du 18ème siècle, les lettres pour la Saint-Valentin étaient faites à partir de simples feuilles de papier, pliées puis scellées à la cire. Comme pour les cartes de visite du Nouvel An, elles étaient remises en main propre, glissées sous la porte ou attachées au heurtoir de porte[5].

Au début du 19ème siècle, les missives galantes se faisaient toujours sur un papier que l’épistolier ou l’épistolière repliait pour former une enveloppe. Ce type de papier à lettre est connu sous le nom de « papier Valentine ».

Fig 2

Flobert (L.-P.), « Les Valentines et la Saint-Valentin », in Bulletin de la Société archéologique, historique & artistique le Vieux papier, 1er mai 1912, p. 229.

 Dans les années 1820, « le jour des Valentines, toutes les demoiselles reçoivent des lettres par centaines ; et dans chacune de ces lettres se trouvent des compliments, des éloges, des déclarations d’amour, des demandes de mariage, le tout écrit sur du papier auquel tout le luxe de la peinture, de la découpure, de la dorure ont été prodigués. »[6] En effet, les lettres envoyées pour le 14 février, vite baptisées « valentines » [7], étaient imaginées de façon très personnelle et artisanale. Leur création nécessitait du temps, ainsi qu’un certain degré d’habilité manuelle et artistique. Elles comportaient des nœuds d’amour vrai, des rébus, des acrostiches, des puzzles et de la poésie. Les vers étaient imprimés par des Valentine Writers pour être utilisés spécifiquement dans les valentines faites à la main. À côté des livres d'écriture de lettres et d'étiquette, les écrivains de la Saint-Valentin ont formé leur propre genre, conseillant aux gens des phrases et des poèmes à envoyer. Par exemple, The Complete valentine writer or The young men and maidens best assistant, publié en 1783 chez Thomas Sabine, s'est avéré un énorme succès[8]. Mais la création de versets originaux était perçue comme étant plus purs et plus directs.

Les valentines anglaises

Les papetiers anglais perçurent vite l’intérêt de standardiser les valentines et mirent sur le marché des papiers à lettres agrémentés d’emblèmes, de vignettes et de formules normalisées. H. Dobbs est une des premières sociétés londoniennes créatrices de valentines et certainement l’une des plus connues[9]. En 1803, Dobbs travaillait comme papetier au 8 New Bridge Street. En 1810, il prit comme associé un nommé Pratt et en 1816 l'entreprise prend la raison sociale Dobbs & Co. En 1824, ils sont désignés comme « ornamental stationers to the King »[10].

noeud 2

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«The Endless Knot of Love / Le nœud sans fin de l'amour », publié en 1803, était très populaire. Il a été en vente pendant quelques années sous diverses formes en noir et blanc ou colorées à la main.

The connoisseur : an illustrated magazine for collectors, vol. LXXXIII, janvier-juin 1929,London, Sampson Low, Marston & Co, p. 15.

Si les artisans du papier les plus en vogue résidaient en Autriche et en Allemagne où l’envoi de courrier était le moyen traditionnel pour présenter souhaits et vœux lors des fêtes du calendrier, la fabrication du papier dentelle en relief est une spécialité anglaise qui s’est progressivement imposée durant la première moitié du 19ème siècle[11]. Quand les papetiers ne reproduisaient pas des dentelles réelles, chérubins, couples, églises, images romantiques étaient émergés dans de la pâte à chiffon appliquée sur des plaques d’acier. Ces motifs gaufrés très élaborés, parfois de quelques centimètres d'épaisseur, étaient utilisés comme entourage de centres peints à la main. Des ornements métalliques de Dresde, des rubans et des fleurs étaient assemblés avec ce papier dentelle : « En principe la valentine anglaise se composait d’un feuillet de quatre pages, dont la première était couverte d’un encadrement léger surchargé d’ornements en papiers découpés, comme des cupidons ou amours, des fleurs estampées en satin, soie ou papier de riz, ainsi que de petits motifs galants en chromo. L’intérieur était réservé aux devises ou vers galants »[12].

Entre 1820 et 1860, les valentines étaient gravées sur bois et lithographiées, puis colorées à la main. Certaines étaient laissées en blanc, de sorte que l'acheteur pouvait ajouter son propre message. Les dessins complexes gravés et découpés tels que la cage de fleurs, la ruche et la décoration en toile d'araignée étaient plus chers, mais très populaires. La révolution industrielle anglaise a autorisé des progrès rapides dans les techniques d'impression et de fabrication. Les valentines ont ainsi évolué au fur et à mesure que des processus de fabrication plus récents et moins coûteux ont émergé, bénéficiant de développements tels que la chromolithographie et la standardisation de la production de la dentelle de papier.

Fig 7

5 The Sunday Star 9 02 1908

Flobert (L.-P.), « Les Valentines et la Saint-Valentin », in Bulletin de la Société archéologique, historique & artistique le Vieux papier, 1er mai 1912, hors-texte.

Valentines des années 1820 reproduite in The Sunday Star, 9 février 1908.

Joseph Meek

Rosin (N.), « The Valentine – A Tribute to Love », in Victoriana Magazine, http://www.victoriana.com/VictorianValentine/valentinestributetolove.htm

A Dobb & Kidd

Exemple de papier dentelle, A. Dobb and Kidd.  

Le journal All the Year Round publie, le 20 février 1864, un article du romancier Charles Dickens (1812-1870) sous le titre « Cupid’s Manufactory /Manufacture de Cupidon »[13]. Dickens décrit avec méticulosité le processus de fabrication de la valentine dans la manufacture (anonyme) de Joseph Mansell (1803-1874)[14] et énumère les composants appliqués au papier de dentelle embossé qui est la base de la plupart des valentines élaborées. Il les décrit comme de véritables confections faites à la main, imaginatives, mais répétitives. Alors que l'impression et le gaufrage étaient faits par des hommes, chacune des travailleuses, que Dickens nomme nymphes, ajoute une pièce précise à l'ensemble, comme la couleur en aquarelle, une ferraille, une fleur de papier ou de tissu, un ornement de clinquant, une coquille, une perle en verre, gaze, dentelle...

À partir des années 1860, des éditeurs comme Marcus Ward & Co se mirent à produire des cartes de Saint-Valentin chromolithographiées d'un goût plus simple, illustrées par les artistes Kate Greenaway (1846-1901) et Walter Crane (1845-1915), artiste du mouvement Arts & Crafts. Kate Greenaway a conçu sa première Valentine pour Marcus Ward & Co en 1867. 25 000 exemplaires furent vendus lors des premières semaines d’émission. Certains éditeurs faisaient imprimer la plus grande partie de leurs valentines en Allemagne.

1 Greenaway 2

1 Greenaway 2 dos

Kate Greenaway, Marcus Ward & Co.

Un succès commercial

Le commerce des valentines devient très lucratif dès les années 1840, surtout grâce à l’introduction du timbre-poste d’un penny[15]. Le port des lettres étant facilité, la coutume des valentines « a pris des proportions alarmantes »[16] pour l’administration des postes obligée d’employer le 14 février un nombre considérable de facteurs dont le dur labeur faisait l’objet de la sympathie ou de la raillerie des journaux. En 1864, « la veille de la Saint-Valentin, il y a eu à Londres plus de 453,000 lettres mises à la poste, soit 140,000 de plus que la moyenne ordinaire. Le lundi 13, la poste a amené à Londres, soit pour cette ville, soit en passage, et venant des provinces, 504,000 lettres, ou 110,000 de plus que la moyenne. Il y a donc eu, en réalité, un échange de quelque 250,000 Valentines par la poste de Londres seulement. Chaque facteur a reçu du bureau central une gratification de un shilling (1 fr.25), au lieu d’un diner qui leur était autrefois servi »[17]. Pendant tout le 19ème siècle, la journée du 14 février dans les grandes villes d’Angleterre est « la plus dure de l’année pour les facteurs. On a pu voir passer dans les rues, trainant péniblement des charretées de lettres et de cartes mémentos, les honorables fonctionnaires du General Post-Office, dont les sacs gonflés contenaient tous, à des millions d’exemplaires, des souhaits de bonne santé, des demandes en mariage, des déclarations vaporeuses, des protestations d’éternelle fidélité, des serments d’amour à n’en plus finir. Quel poète il faudrait à l’Angleterre, ou plutôt quel comptable, pour énumérer tout ce qu’il y a de promesses enfermées chaque année dans les vingt millions de lettres que distribuent les agents du Post-Office le jour de la Saint-Valentin ! »[18].

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11 Almanach

1 Almanach 2

« Valentine’s day / La Saint Valentin », in Punch’s Almanack for 1854.

Cette caricature publiée dans le magazine satirique Punch (publié chaque semaine de 1841 à 1992 et de 1996 à 2002) fait vraisemblablement référence à un poème écrit vers 1840[19], texte qui avertit de la popularisation probable de l’envoi des valentines grâce au timbre d’un penny :

« The letters in St. Valentine so vastly will amount,

Postmen may judge them by the lot, they won't have time to count;

They must bring round spades and measures, to poor love-sick souls

Deliver them by bushels, the same as they do coals », in Hyde (J. Wilson), The Royal Mail. Its Curiosities and Romance, London, Simpkin, 1889, p. 289.

Il était de pratique courante pour les entreprises privées d'envoyer du charbon à domicile par l'intermédiaire de livreurs. La caricature montre ces livreurs chargés de sacs de transport remplis non pas de charbon mais de valentines qu'ils versent dans une cave à charbon par un tuyau ouvert de la rue. La plaque de fer ronde qui recouvre le tuyau, qui ressemble à une plaque d'égout, repose à côté du tuyau ouvert. Un jeune messager bien habillé utilise une pelle en forme de cœur pour ramasser les valentines.

Dans les années 1860, il était possible de voir « pendant plusieurs jours à la montre des boutiques et des magasins de Londres toutes sortes de jolis carrés de papier de toute dimension, dont quelques-uns, travaillés avec beaucoup d’art étaient l’objet de la curiosité des passants, c’étaient des valentines affichées et mises en vente à tous les prix, depuis un penny jusqu’à dix guinées »[20].

En 1872, « la fabrication des valentines constitue une branche réellement importante de la papeterie anglaise »[21]. La carte est transmise avec « un bouquet de fleurs artificielles, et même quelque objet de valeur : bague, éventail, carnet, etc. Le nombre d’objets ainsi échangés en Angleterre, dans la journée du 14 février, est énorme : d’après une communication officielle qu’à bien voulu faire M. le Directeur général des postes, il s’est élevé, l’année dernière [1871], pour la ville de Londres seulement à 1,437,000. »[22] Dans les années 1870, les Valentines quittent donc leur caractère purement épistolier pour devenir le prétexte d’offrir de petits cadeaux. Mead et Cie (Cheapsidi, 73, Londres) était alors, avec Howes, un des plus importants fabricants de valentines. Le prix ordinaire d’une valentine se situait entre 3 francs 75 centimes et 5 francs, mais certaines cartes pouvaient coûter 100 à 125 francs. Howes aurait même fait fabriquer une valentine cotée au prix de 2 500 francs pour l’exposition internationale de 1872[23].

Les valentines américaines

C’est aussi durant la décennie 1840 que la Saint-Valentin devient importante aux États-Unis. Une dizaine d’entreprises américaines[24] vont fabriquer des valentines décorées de rubans et de dentelles. Parmi eux, Esther Howland (1828-1904)[25] a eu un impact important dans la production et l’aspect des cartes de Saint-Valentin. Bien qu'elle n'ait pas été la première à créer des valentines en Amérique, elle est reconnue pour avoir popularisé la dentelle valentine. Sa production était totalement artisanale et exclusivement féminine. Elles livraient à ses ouvrières les fournitures et les gabarits par cochers. Ses créations se distinguaient de la concurrence par de multiples couches et découpes, des rabats à charnière ou relevables, des ressorts en accordéon, des découpes ou des impressions Baxter, et des fleurs fortement gaufrées, souvent recouvertes d'un impact. Les ressorts en papier pliés permettaient aux couches séparées de se lever, créant un effet de boîte à ombre. Des gaufrettes de papiers colorés, placées sous différentes sections de la dentelle, amélioraient les motifs pour les rendre encore plus attrayants visuellement. Les devises, dites aussi mottos, étaient toujours disposées au centre, - au cœur -, de la carte. Les concessionnaires de la marque disposaient de livrets contenant 131 versets différents, de sorte qu'un client pouvait choisir celui qui reflétait le mieux son intention. Esther Howland utilisait également des emblèmes décoratifs et le langage des fleurs pour ajouter un message muet. Son entreprise, vendue en 1881 à George Clarkson Whitney (1842-1915), lui a rapporté plus de 100 000 dollars par an. Les fabricants américains ont fourni des Valentines gravées ou lithographiées, à la fois sentimentales et comiques, dès les années 1830. Des lettres européennes élaborées étaient parfois importées, mais coûteuses et inaccessibles au grand public. L'Allemagne était connue pour sa production impressionnante de lithographie colorée, tandis que les papetiers anglais excellaient dans le gaufrage et dans la production de papier dentelé. Quand Esther Howland a lancé son entreprise, elle a trouvé un vaste marché, réceptif et désireux d'acheter ses cartes.

Howland

Rosin (N.), « The Valentine – A Tribute to Love », in Victoriana Magazine, http://www.victoriana.com/VictorianValentine/valentinestributetolove.htm

sticker

Le label Howland : les gaufreurs et les fabricants américains de papier-dentelle avaient inséré leurs noms dans les matrices et les assembleurs reflétaient leur fierté en ajoutant des marques d'identification au revers de la plupart des cartes. L’autocollant Howland se reconnait à son « H » rouge et le « NEV Co » en relief, reflétant le nom de la New England Valentine Company. Sur cet autocollant, le nombre fait référence au prix, « dix cents ». Certaines étiquettes, imprimées ou autocollantes, allaient de dix cents à deux dollars. Les cartes les plus extravagantes auraient coûté entre 30 et 50 dollars à l'époque !

Les premières valentines américaines se caractérisent par l’usage important du papier découpé, méthode héritée des immigrants allemands et connue sous le nom de scherenschnitte ou fraktur liebesbriefe. D’après un article sur les mœurs américaines du 14 février 1847, « Depuis quelques années, l’observation de la Saint-Valentin a fait de tels progrès à New York qu’elle met toute la ville en rumeur. Les valentines, ou lettres gravées pour la circonstance, brillent à toutes les croisées des boutiques. Le style des dessins et des enluminures varie à l’infini. Il y en a pour tous les goûts et pour toutes les bourses ; les allégories, le plus souvent sentimentales, sont parfois comiques et grotesques. Tantôt le papier est bordé d’une élégante imitation de dentelles, et dans un coin on voit un petit Cupidon à cheval sur un papillon, ou à demi caché dans le calice d’une rose. Tantôt de brillantes arabesques d’or se détachent d’un fond d’outremer, et les premières majuscules de l’épitre amoureuse sont dignes des plus riches manuscrits enluminés par la piété du moyen âge. Quelquefois l’Amour est tout simplement couché sur le papier comme sur un lit de satin blanc ; ou bien, il est caché sous une feuille de papier d’or ou d’argent si finement découpée, que lorsqu’on la soulève, le petit dieu semble pris dans une toile d’araignée reluisant au soleil »[26]Plus qu'un simple assemblage esthétique d'images colorées et de dentelles en papier, les valentines engendrent chez les américains une ruée des sentiments physiologiques et émotionnels décrits dans un article de 1853 dans le Gleason's Pictorial : « There is the earnest fluttering of the pulses as the postman advances—hopes and fears alternately swaying the desires for a valentine, replete with tender expressions and soft inducements. The postman knocks—the face is flushed—the heart beats, and the beautiful missive, all decorated with hearts slung up in a halter, or pinned together with butchers’ skewers is opened. Who can paint a feeling? We will not try to do it /Il y a le battement sérieux des pulsations à mesure que le facteur avance - les espoirs et les peurs balancent alternativement les désirs d'une valentine, remplis d'expressions tendres et d'incitations douces. Le facteur frappe - le visage est rouge - le cœur bat, et la belle missive, toute décorée de cœurs suspendus dans un licol, ou épinglée avec des brochettes de boucherie, est ouverte. Qui peut peindre un sentiment ? Nous n'essaierons pas de le faire »[27].

Les valentines comiques : « Joyeuse Saint-Valentin : Je te haie ! »

Comme en Angleterre, les valentines américaines étaient envoyées anonymement. Le voyageur français Oscar Commettant (1819-1898) explique qu’elles sont « grandes dorées sur tranche, enjolivées d’un tas de petits amours et de cœurs enflammées, et enfermées dans des boites de luxe garnies de rubans de toutes les couleurs et d’enjolivements de toute sorte. Il y a certaines de ces boites qui coûtent jusqu’à vingt dollars et même plus »[28]. Les papetiers vendaient également « de grossières images coloriées représentant des scènes grotesques avec des légendes explicatives […] pour tous les ridicules et pour toutes les professions»[29] que les jeunes filles envoyaient pour se moquer ou qu’un homme envoyait à un ami masculin afin de sous-entendre cruellement les raisons pour lesquelles il était toujours célibataire. En fait, si la Saint-Valentin était bien le jour de célébration de l’amour romantique, c’était également le jour idéal pour avouer détester une personne.

Entre 1830 et 1850, les styles commerciaux des valentines britanniques et américaines se diversifient. En Angleterre, A. Park, R. Carr (Houndsditch Street), G. Gilbert, Rock & Co (Londres), Elliot (Holywell Street), G. Ingam (City Road), E. Lloyd et Pickering & Co produisent des valentines comiques[30]. Park a édité des séries de lithographies colorées à la main, dont une représentant des hommes avec des corps d’insecte. Elliot est à l’origine d’une série montrant des femmes composées de fruits, légumes ou fleurs. Dans les années 1850, les valentines comiques étaient fabriquées en grande quantité et à bon marché. Leur popularité pourrait tenir de leur prix abordable alors que les valentines sentimentales, richement décorées, restaient coûteuses.

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Reproduction d'une valentine comique dans le journal américain The Sunday Star, 9 février 1908.

Dans les années 1860, elles sont condamnées par la presse des deux côtés de l'Atlantique. Elles sont décrites avec des accents d'indignation morale, étiquetées comme sales et nauséabondes. Elles sont accusées d'un certain degré de dépravation morale et de comportement antisocial, y compris, dans le New York Times du 15 février 1866, qui affirme qu'elles encourageaient « a fearful tendency to the development of swearing in males of all ages / une tendance effrayante au développement de jurons chez les mâles de tous âges »[31]. L'envoi de ces cartes insultantes a également eu des conséquences plus graves, surtout dans l’affaire de la «fatal valentine /valentine fatale »[32] de 1847 :une New Yorkaise avait fait une overdose de laudanum après avoir reçu une valentine explicite d'un homme qui l'avait amenée à croire qu'il avait des sentiments pour elle.

En 1868, le journaliste Louis Blanc (1811-1882) écrit plusieurs textes[33] sur les valentines où il remarque que les cartes moqueuses font une redoutable concurrence aux cartes poétiques, mais également que « le spéculateur en scandale profite de l’occasion, et d’indécentes enluminures sont exposées sur la voie publique. »[34] La grande majorité des articles publiés dans la presse française prétendent que les valentines sont fort curieuses. Les journalistes s’offusquent ou s’étonnent de la liberté de ton des correspondants et « que l’ironie est généralement de mode et qu’on est convenu de n’attacher aucune importance aux tendres déclarations ou aux compliments emphatiques qui forment le fond banal sur lequel chacun brode à sa guise »[35], mais plus encore « que les esprits malins y trouvent ample matière à développements satiriques, et que l’occasion d’être désagréable aux gens en les accablant d’éloges moqueurs qui sont juste le contrepied de la vérité, est trop belle pour n’être pas saisie avec un charitable empressement. »[36]

Topeka State Journal 13 02 1904

Topeka State Journal, February 13, 1904.

À la fin du 19ème siècle, l'histoire d'amour des anglais avec les valentines comiques est presque terminée. Le déclin de leur mode est aussi soudain que leur ascension.

Éditées sous la forme de cartes-postales au début du 20ème siècle, les anglais et les américains les nomment penny dreadfuls ou Vinegar Valentines. Missives caustiques et offensantes, considérées comme venimeuses et vulgaires, leurs ventes sont vite boycottées.

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Les valentines comiques ou vinegar valentines en chromolithographie des Etats-Unis ont inspiré des cartes postales imprimées en Allemagne et des séries françaises comme celles vendues par Ernest Le Deley (E.L.D.). Ces cartes étaient surtout utilisées en France lors du 1er avril.

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Raphael Tuck and sons' Valentine post-card.

Carte postale de Saint-Valentin vendue aux Etats-Unis et au Canada, imprimée en Allemagne.

Aux États-Unis leur usage perdure, mais en 1917, The North Platte semi-weekly tribune explique : « The comic valentine, which was painfully ugly and coarse, and which flourished very broadly at one time, has now almost entirely passed away, at least inits cruder forms / La valentine comique, qui était douloureusement laide et grossière, et qui a prospéré très largement à un moment donné, est maintenant presque entièrement disparue, au moins dans ses formes plus grossières »[37].

The Semi-weekly Tribune

The North Platte semi-weekly tribune, February 09, 1917, p. 2.

Des valentines en France

Avant la fin des années 1870, la coutume anglaise trouve des adeptes en France et les papeteries à la mode choisissent « des valentines sur vélin, sur satin, sur ivoire et portant, en lettres pourpre, or ou argent, des déclarations brûlantes, rimées par nos plus grands poètes »[38]. Le Gil Blas du 16 février 1884 raille que « Le high-life français vivant absolument à l’anglaise, les Valentines devaient être importées chez nous. Aussi, dans la journée d’hier, toutes les fillettes et toutes les jeunes filles de France et de Navarre, ont-elles reçu des cartes satinées, parfumées, enguirlandées, enluminées, versifiées… »[39].

Les valentines sont surtout connues et utilisées dans les milieux aisés de la capitale. Effet de mode ou publicitaire, « la maison Rimmel a acquis une réputation toute spéciale pour ces Valentines, dont on peut voir des charmants spécimens à la Parfumerie anglaise, 17, boulevard des Italiens »[40]. Déjà dans son article de 1868, Louis Blanc mettait à l’honneur les valentines du parfumeur Eugène Rimmel (1820-1887) rappelant à ses lecteurs que « c’est toute une branche de commerce que la vente des tendres missives du 14 février, et une branche à laquelle ni l’art ni l’esprit d’invention ne sont étrangers. Demandez plutôt à notre compatriote M. Rimmel, le prince des parfumeurs dans ce pays, auteur d’un livre très intéressant sur les parfums, et inventeur de valentines musicales »[41]. Rimmel était surtout le nom des sachets parfumés valentine. En 1874 et 1875 plusieurs journaux français accordent quelques lignes publicitaires aux « Valentines Rimmel parfumées, gracieuse nouveauté »[42]. Ces cartes comportaient des messages cachés imprimés sur des garnitures de soie qui avaient été parfumées. De telles conceptions étaient seulement pour les détaillants riches et coûtaient entre 6 deniers et demi et une guinée pièce.

1874

Le 14 février 1874, The Illustrated London News décrit la fabrication des valentines à l'imprimerie de George Meek et à l'atelier d'Eugène Rimmel. Les images dévoilent l'ensemble du processus, tout à fait comme décrit par Dickens dix ans plus tôt à propos de la manufacture de Joseph Mansell.

Rimmel 1

Détail Rimmel

Détail d'un dépliant Rimmel des années 1870.

Un dépliant publicitaire de 1867 montre que déjà dans les années 1860, la production anglaise de valentines parfumées Rimmel est importante. Les fleurs et le langage de fleurs sont au cœur de cette production, entre autre une série de 12 valentines, imprimées en chromolithographie sur papier ou satin, avec des bordures en dentelle ou argentées, qui illustrent le langage des fleurs[43], série dessinée par Jules Chéret (1836-1932) qui s’était mis en société avec Rimmel le 1er juillet 1866. Le parfumeur lui avait fourni les capitaux pour fonder son imprimerie et acheter neuf presses. Dans sa demande de brevet, Chéret souhaitait faire des travaux d'ornements en chromolithographie pour les parfumeurs, principalement pour Rimmel[44]. Chéret est également l’auteur de valentines qui se voulaient « highly humorous / très humouristique ».

RIMMEL nymphe

Rare exemple d'une valentine Rimmel de la série Animated Flowers dessinée par Chérel, à consulter sur le site internet de la National Valentine Collectors Association.

Sachet

Scent sachet valentine by Rimmel, in Flobert (L.-P.), « Les Valentines et la Saint-Valentin », in Bulletin de la Société archéologique, historique & artistique le Vieux papier, 1er mai 1912, p. 102.

Dans les années 1890, alors qu’en Angleterre les valentines se popularisent et deviennent de plus en plus élaborées et décorées avec des éléments tels que des fleurs séchées et cirées, des algues, des coquillages, des miroirs, de l'ivoire, des rubans, des perles et du tissu ; la tradition des valentines reste toujours quelque peu étrangère à la grande majorité des français. Comme le publie le Petit Journal du 15 février 1891 : « Bref, la Saint-Valentin, comme vous le voyez, n’a aucun équivalent chez nous »[45].

Entre une fin annoncée et un succès toujours plus grand

Paradoxalement, dans les années 1880, la presse française oscille entre l’annonce de la décroissance de l’envoi des valentines, voire la disparition de l’usage, et l’augmentation sans cesse plus grande de cette tradition. En 1882, le Figaro déclare que « les amoureux anglais s’expédient réciproquement plus de Valentines que jamais. Le chiffre a été l’an dernier de 1,634,000. Les amoureux Irlandais, d’un autre côté, paraissent avoir complètement abandonné ce gracieux usage »[46].

Alors que L’Intermédiaire des chercheurs s’évertue à expliquer cet engouement, de nombreux quotidiens sont heureux d’annoncer aux facteurs que le 14 février ne sera plus une journée difficile pour eux. L’Intermédiaire écrit : « A-t-on jamais bien su d’où vient l’usage, si répandu en Angleterre et en Amérique, de l’envoi des « Valentines » entre jeunes gens et jeunes filles ? Il est impossible de se faire, en France, une idée du développement de ce singulier usage. A New-York, plusieurs jours à l’avance, les facteurs de la poste gémissent de l’approche de la Saint-Valentin : le travail de la distribution est presque doublé, et dans les bureaux d’express, par où s’expédient les « Valentines sérieuses », les affaires sont triplées. On entend par « Valentines sérieuses » les dentelles, rubans, bijoux, objets d’art et toutes sortes de fantaisies coûteuses envoyées par les jeunes gens de la bonne société à leurs amies. Dans les classes pauvres, on se rabat sur les « Valentines », dites « comiques », lesquelles consistent généralement en une horrible caricature à couleurs criardes, se rapportant, autant que possible, à la physionomie et à la profession du destinataire, et au bas de laquelle sont imprimés des vers idiots ; mais il en est aussi de fort jolies, très originales, très ornées, très artistiques même, et dont les prix sont fort élevés. Tous les ans, les journaux américains recommencent de nouvelles études et recherches historiques sur cet usage. Voici quelques notes, traduites deci delà. La « semaine des Valentines » est l’occasion d’une dépense invraisemblable de formules épistolaires. Tout est permis dans cette correspondance amoureuse. L’intrigue, l’amour, le plaisir s’en donnent à cœur joie et à plein papier ? Les jeunes demoiselles et celles d’un âge mûr attendent le 14 au matin la venue de l’épitre galant obligatoire et il n’est pas si mince amoureux qui, pour ce jour consacré, n’ait risqué sa lettre à bordure ou à enluminure. La coutume des « Valentines » est assez généralement pratiquée dans l’univers entier ; mais dans chaque pays les choses se passent différemment. Les Anglais la pratiquent peut-être plus que toute autre nation, les Allemands en abusent passablement. En Autriche et en Hongrie, on se donne ce jour-là rendez-vous pour le 15 août. […] Pour donner une idée de l’extension que peuvent prendre les transactions postales, le 14 février dernier [1881], je citerai ce relevé du bureau des Postes : Ce jour-là, la Poste de New-York a débité 582,442 timbres-poste, et le total des sommes perçues s’est élevé à 16,000 dollars, soit 80,000 francs »[47], alors que Le Rappel explique dans un texte qui sera repris presque mot pour mot par L’Univers illustré du 22 novembre 1890 : « Encore un vieil usage qui tend à disparaître d’Angleterre – le pays des vieux usages. Il paraît que l’envoi des valentines est cette année en pleine décroissance ? Ce ne sont pas les facteurs de la poste qui s’en plaindront. Vous me demandez peut-être ce que sont les valentines ? Ce sont de petites images représentant des amours, des cœurs enflammés, toutes sortes d’emblèmes érotiques, accompagnées en général de poésies amoureuses, de vers incendiaires que les jeunes gens envoient aux jeunes filles – et réciproquement – le jour de la Saint-Valentin, d’où le nom de valentines donné à ces gracieux envois. Quand je dis gracieux, il faut s’entendre ; ils ne le sont pas toujours. Il y a des valentines satiriques aussi bien que des valentines amoureuses ; toutes sont plus méchantes que les autres. Grâce à l’anonyme qui couvre ce genre de correspondance, on se venge par l’envoi d’images grotesques des personnes contre lesquelles on a une dent. Ce sont les dames et les demoiselles – j’en demande pardon au beau sexe – qui usent de ce procédé à l’égard de leurs « bonnes amies ». Dans ces derniers temps, les jeunes gens avaient substitué aux images des présents plus utiles et plus substantiels, des fleurs, des éventails et surtout des gants, dont les jeunes miss sont extrêmement friandes »[48].

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« Le dessin de M. Mars représente deux adorables « misses », dont les mains éparpillent ou recueillent le joyeux courrier qu’au matin de la Saint-Valentin, apporte la joie dans toutes les demeures anglaises », in Le Monde illustré, 17 février 1883, p. 103.

Dans les années 1890, l’usage des valentines en Angleterre ne semble pas vraiment s’amenuiser et paraît plutôt se démocratiser. Les cartes avec des bijoux, des rubans et des dentelles sont d’usage dans les familles riches, alors que les images d’un penny sont utilisées par les plus modestes. « La valentine courante est même plutôt commune, c’est une sorte d’image carrée dans le genre de nos images religieuses, avec un cœur percé d’une flèche peint sur fond azur. En travers, une banderole où l’on lit n’importe quoi : Good morning Valentine ou tel autre salut banal »[49].

En 1903, le New-York tribune prévient qu’aux États-Unis « Valentine’s day comes this week, and those are mistaken who think the saint is neglected / La Saint-Valentin vient cette semaine, et ceux qui pensent que le saint est négligé se trompent »[50] : « St. Valentine’s Day falls on February 14, and the man who insists that sentiment is dead, that the world is a cold, prosaic, mathematical sort of place, must this week at least take his place among the other croakers. There are facts and figures at hand to prove that, measured by the valentin escale, the world is becoming more and more sentimental with each succeeding year / La Saint-Valentin tombe le 14 février, et l'homme qui insiste sur le fait que le sentiment est mort, que le monde est un endroit froid, prosaïque et mathématique, doit cette semaine au moins prendre sa place parmi les autres couasseurs. Il y a des faits et des chiffres pour prouver que le monde devient de plus en plus sentimental chaque année »[51].

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Photographies du supplément illustré du New-York tribune, du 8 février 1903, prises « by courtesy of the proprietors, in the busy valentine factories of the George C. Whitney Company, Worcester, Mass., and Mc Laughlin Brothers, Brooklyn / par courtoisie des propriétaires, dans les usines de la Saint-Valentin de la George C. Whitney Company à Worcester, au Massachusetts, et des Mc Laughlin Brothers à Brooklyn ».

Les cartes postales et la Saint-Valentin

Au tournant du 19ème siècle, l'engouement pour la collection de cartes postales illustrées entraîne la création d'un nouveau type de valentine, la valentine carte postale, dont les plus vendues provenaient de firmes allemandes.

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En 1912, la collectionneuse Laure-Paul Flobert, épouse du secrétaire général de la Société Le Vieux Papier, propose un article sur les valentines où elle témoigne que la fête est toujours « à peu près ignorée »[52] en France. Elle explique que si les jeunes filles anglaises « attendent la nuit de la saint Valentin comme une messagère du bonheur ; chez nous, elles lui ont trouvé un pendant avec la sainte Catherine »[53], fête qui fait l’objet d’éditions annuelles de cartes postales. En 1913, le Journal des papetiers constate que « la France est certes une productrice de cartes très esthétiques et particulièrement intéressantes. », mais observe« que nous n’avons pas, chez nous, l’équivalent de ce que nous donnent, en Angleterre, « Rapahaël Tuck and Co ». Cette maison a monopolisé le commerce de certaines cartes artistiques, les « Valentines » et les « Christmas Card », chefs-d’œuvres d’art très finis et très « précieux ». Le prix en est relativement bon marché. Nous subissons la concurrence des Allemands et des Autrichiens qui importent des produits lourds, grossiers, souvent obscènes »[54]. Raphaël Tuck (Koschim, 17 août 1821- Londres, 16 mars 1900), originaire de Prusse, avait fondé sa compagnie en 1866 sur Union Street où il vivait avec son épouse Ernestine Lissner (1827-1895).Il vendait des meubles, des cadres, des cartes de vœux et, à partir de 1899, des cartes postales. Ces dernières deviennent la branche la plus fructueuse de l'entreprise. La société profite en effet du changement de la réglementation postale britannique en novembre 1899 qui autorise les éditeurs à émettre des cartes postales illustrées d'une taille standard de cinq pouces et demi sur trois pouces et demi. Les fils de Raphaël, Herman (1849-1909), Adolph (1854-1926) et Gustave (1858-1942), avaient rejoint l'entreprise en 1870, l'année où l'entreprise avait été déménagée au 177 chemin City. En 1880, l'entreprise s’installe au 72-73 Coleman Steet et, en 1899, déménage à nouveau à la maison Raphael, située entre Tenter Street et White Street à Moorfields. Le 29 décembre 1940, Raphael House est détruite par des bombes allemandes, et les originaux de la plupart des séries de cartes postales sont perdus. Chaque carte postale Tuck avait une empreinte des armoiries royales britanniques (le mandat royal de nomination à Sa Majesté la reine Victoria avait été obtenu en 1893), et la marque Tuck, composée d’un chevalet, d’une palette et de brosses, avec le monogramme « R.T. & S. », généralement imprimé dans l’emplacement où le timbre est apposé.

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Il ne faut pas croire que les valentines classiques n’ont eu aucune influence sur la création des cartes postales en France. Les symboles utilisés dans les valentines, comme les cupidons et les fleurs, se retrouvent dans nombres de cartes de vœux pour le nouvel an.

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Cartes postales Artaud & Nozais.

Les valentines sur le langage des fleurs de Rimmel ont largement influencé les séries photographiques « langage des fleurs » de l’éditeur Albert Bergeret[55] à Nancy, même si ces cartes n’avaient pas un usage limité au 14 février.

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Difficile de ne pas penser également à Rimmel en regardant la série de six cartes Fleurs d’Amour créée par Raphaël Kirchner (1875-1917) en 1903, même si l’artiste amène avant tout l’attention sur ses personnages féminins. Le collectionneur Lionel Renieu (1879-1940) dans La Carte Postale Illustrée, considérée au point de vue des arts graphiques et des sujets représentés[56], estime que c’est en France qu’était éditée la majorité des cartes élégantes, c’est-à-dire représentant des femmes galantes.

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La guerre des valentines

Selon The Kansas City Sun du 12 février 1916, l’Allemagne a perdu le marché des valentines au profit de l’Angleterre et des États-Unis à cause de la guerre[57].

Kansas City Sun

D’après The Ogden standard du 16 février 1918, la carte postale illustrée de Saint-Valentin « had its origin in Germany, ans soon created a furore in the world, both on account of its cheapness and its beauty. First it pictured scenes of mountains, streams, old castles and palaces. Then it had words of greetings for special days printed on it, and finally the verses of love so appropriate to Valentine Day appeared on its face. From time to time the cards were improved on and today they have reached perfection in workmanship and are the most popular Valentines of the present age. Before the war the majoritéu of these cards were made in Germany but just now they are almost entirely American products. A few, however, are made in England and France / A son origine en Allemagne, et a vite créé une fureur dans le monde, à la fois en raison de son bon marché et de sa beauté. D'abord, elle a représenté des scènes de montagnes, de ruisseaux, de vieux châteaux et de palais. Puis il y eut des mots de salutations pour des jours spéciaux imprimés, et enfin les vers d'amour si appropriés à la Saint-Valentin apparurent sur sa face. Peu à peu, les cartes ont été améliorées et aujourd'hui elles ont atteint la perfection dans la fabrication et sont les Valentines les plus populaires de l'âge actuel. Avant la guerre, la majorité de ces cartes étaient fabriquées en Allemagne, mais à l'heure actuelle, elles sont presque entièrement américaines. Quelques-unes, cependant, sont fabriquées en Angleterre et en France. » [58]

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En 1917, la presse française annonce fièrement que le 14 février, « des tranchées anglaises partiront par milliers les valentines, cartes ou lettres à la fiancée, au flirt, sans doute aussi à la marraine »[59]. Les cartes postales françaises pour les correspondances entre filleul et marraine étaient apparues en 1915 dès la création des associations permettant les correspondances entre femmes et soldats. Comme les « cartes d’amour », elles reprennent des symboles floraux et les cupidons des valentines. Beaucoup sont publiées par la maison d’Armand Noyer sous la marque « Patriotic ».

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En 1922, « dans la haute société anglaise, le Valentin’s day est tombé en désuétude, à cause des abus que la coutume avait fini par engendrer. Il n’y a que les ouvriers et les employés, les demoiselles de magasins et les domestiques qui s’envoient des cadeaux »[60].

Les cartes postales dites d’amour ou d’amoureux connaissent leur grande vogue en France durant les années 1920 et 1930. Malgré un renouveau apporté par Raymont Peynet (1908-1999), le genre est par la suite délaissé.

[1] Le Petit Journal, 14 février 1865, p. 1.

[2] Le Rappel, 23 mars 1886, n.p. ; L’Univers illustré, 22 novembre 1890, p. 739.

[3] Journal officiel de l’Empire français, 14 février 1869, p. 193.

[4]Rapport / Expositions internationales, Londres 1872, Paris, impr. nationale, 1873, p. 171.

[5] Chmura (S .), « Souhaits inutiles et agréables chimères : Traditions et folklores des cartes de nouvel an », in cartes-postales de Rennes ou d'ailleurs, janvier 2017. http://cartes-postales35.monsite-orange.fr.

[6] Tablettes anglaises, faisant suite aux Tablettes romaines, 1825, p. 271.

[7] Dictionnaire des dictionnaires. Lettres, sciences, arts, encyclopédie universelle, Tome 6, REIN-ZZ, p. 988.

[8] The Complete valentine writer or The young men and maidens best assistant, Containing a variety of pleasing verses calculated to crown with mirth and good humour the happy day which is called St. Valentine. Which the young of both sexes may read without blusing; and those of riper years find much pleasure and entertainment. Written by G. Browne, of the county of Middlesex, Miss Trueman, of the city of Norwich. Master John Atkinson, of Oxfordshire, Miss Reynolds, of Canterbury. Miss Peggy Collins, of the city of York, and Miss Long, of the city of Bath. Whose abilities are too well known to need any further encomium upon their productions, London, T. Sabine, 1783, 60 p. L’ouvrage a été publié aux États-Unis.

[9] En 1846, la société H. Dobbs & Co devient Dobbs and Bailey. Quand en 1851, le libraire-éditeur William Kidd (installé depuis 1835 à Hyde Street) est associé, la société Dobbs & Kidd (134, Fleet Street et 12, Soho Square) devient le plus gros fabriquant de valentines.

[10] Hodgson (W.), « The paper Valentine », in The connoisseur : an illustrated magazine for collectors, vol. LXXXIII, janvier-juin 1929,London, Sampson Low, Marston & Co, p. 14.

[11] C'est par hasard que le Britannique Joseph Addenbrooke aurait découvert en 1834 qu'en limant la partie en relief de la section gaufrée, il pouvait produire un effet de dentelle. Il fournissait la compagnie de Dobbs.

[12] Flobert (L.-P.), « Les Valentines et la Saint-Valentin », in Bulletin de la Société archéologique, historique & artistique le Vieux papier, 1er mai 1912, p. 229-248.

[13] All the Year Round,XI, p. 36-40

[14] Joseph Mansell (Londres, 1803-8 novembre 1874), était l'un des rares imprimeurs autorisés par l’artiste imprimeur George Baxter (1804-1867) à produire des tirages en utilisant son processus de couleur breveté. Mansell acquiert le 35 Red Lion Square en 1849, où il exerce son activité et où il a résidé avec sa femme, Elizabeth Porthouse et leurs quatre filles. Il obtint une licence de Baxter vers 1850 et son entreprise devint célèbre pour ses articles de papeterie fantaisie en relief ainsi que pour l'impression couleur. Il combinait les deux exemples de Baxter Process et l'impression chromolithographique sur ses cartes de vœux. L'entreprise a continué de croître et Mansell a acquis la propriété adjacente au 36 Red Lion Square. Par la suite, il décide d’utiliser le 71 Addison Road, Kensington pour résider afin que les propriétés de Red Lion Square puissent être entièrement consacrées à l'entreprise. Il expose aux expositions internationales de Londres en 1851 et 1862 et à l'exposition de 1855 à Paris. En plus de son procédé d'impression Baxter, Joseph Mansell a acquis une réputation considérable pour ses productions chromolithographiques. Après la mort de Joseph Mansell en 1874, l'entreprise continue à fonctionner sous son nom jusqu'en 1890, date à laquelle tout le secteur de l'imprimerie, à l'exception de l'impression couleur, fusionne avec un concurrent. L'entreprise d'impression couleur a continué pendant un certain temps en tant que Joseph Mansell Limited.

[15] Le Penny Black est émis le 1er mai 1840 au Royaume-Uni et en Irlande.

[16] Le Monde Illustrée, 24 février 1866, p. 118.

[17] La Presse, 22 février 1864, n.p.

[18] Le Petit Journal, 15 février 1891, p. 5.

[19] « Something I want to write upon, to scare away each vapour-- The "Penny Postage" shall I try? Why, yes, I'll write on paper.

Thy great invention, Rowland Hill, each person loudly hails; The females they are full of it, and so are all the mails.

This may be called the "Penny Age," and those who are not mulish, Are daily growing "penny wise," though not, I hope, pound foolish.

We've penny blacking, penny plays, penny mags, for information, And now a "Penny Post," which proves we've lots of penetration.

Their love-sick thoughts by this new act may Lucy, Jane, or Mary, Array in airy-diction from Johnson's dictionary.

Each maid will for the postman watch the keyhole like a cat, And spring towards the door whene'er there comes a big rat-tat.

And lots of paper will be used by every scribbling elf, That each should be a paper manufacturer himself.

To serve all with ink enough they must have different plans; They must start an "Ink walk" just like milk, and serve it round in cans.

The letters in St Valentine so vastly will amount, Postmen may judge them by the lot, they won't have time to count; They must bring round spades and measures, to poor love-sick souls Deliver them by bushels, the same as they do coals.

As billet-doux will so augment, the mails will be too small, So omnibuses they must use, or they can't carry all; And ladies pleasure will evince, instead of any fuss, To have their lovers' letters all delivered with a 'bus!

Mail-coachmen are improving much in knowledge of the head, For like the letter which they take, they're themselves all over red.

Postmen are "men of letters" too; each one's a learned talker, And 'cause he reads the diction'ry, the people call him "Walker."

Handwriting now of every sort the connoisseur may meet; Though a running hand, I think, does most give postmen running feet.

They who can't write will make their mark when they a line are dropping, And where orthography is lame, of course it will "come hopping."

Invention is progressing so, and soon it will be seen, That conveyance will be quicker done than it has ever been; A plan's in agitation--as nought can genius fetter-- To let us have the answer back, before they get the letter.

At the Stamp-counter. »

[20] Le Monde Illustré, 24 février 1866, p . 118.

[21]Rapport / Expositions internationales, Londres 1872, Paris, impr. nationale, 1873, p. 171.

[22] Ibid.

[23]Rapport / Expositions internationales, Londres 1872, Paris, impr. nationale, 1873, p. 172.

[24] Quelques exemples : Zieber & Co (Philadelphie), propriété de George B Zieber : la maison d’édition Burgess and Zieber a été fondée à Philadelphie en 1843 et est devenue G.B. Zieber and Company l’année suivante. L’entreprise cesse ses activités en 1848.

John. L. Magee (New-York, 1820- après 1870) était un artiste lithographe qui a travaillé à New York pour James Baillie et Nathaniel Currier. Dans les années 1840-1850, il travaille surtout sur des illustrations pour enfants. Entre 1850 et 1852, il dirige son propre établissement au 34 Mott Street à New York. Il déménage à Philadelphie vers 1855. Il travaille pour plusieurs maisons d’éditions comme celle de Thomas Sinclair, Benjamin Mifflin, Frederick Pilliner ou John Stuart.

Au début des années 1850, l’entreprise Fisher and Brother’s proclame ses boutiques « St. Valentine’s Theatre » et avoir établie le musée de la Saint-Valentin.Elle était une des entreprises de gravure qui dominait le commerce à New York dans les années 1850 avec celles de Robert Elton, McLaoughlin Brothers et J. Wrigley.

J.M. Fletcher pour Josiah Moody Fletcher (Halifax, 14 janvier 1828- ?). Les publicités de la fin des années 1840 de cette entreprise dans le Philadelphia Public Ledger expliquent que les valentines doivent être envoyées du 14 février au 1er mars et même plus tard quand les réponses sont retournées. La population parle dès lors de la semaine de la Saint-Valentin et même du mois de la Saint-Valentin.

Elton & Co (New York 1840-1851) est une société créée par John McLoughlin Sénior et le graveur-imprimeur Robert H. Elton) ; Elton & Co devient McLoughlin Brothers (New York 1858-1925). Cette société a été créée par John McLoughlin Junior (1827-1905) qui prit son frère Edmund McLoughlin (vers 1833-1889) comme partenaire en 1855. Ils étaient spécialisés dans l’édition de cartes de Saint-Valentin comiques.

[25] « Valentines by Miss Howland are exhibited », in The Rock Island Argus and daily union. March 08, 1922, n.p.

[26] Revue britannique, ou Choix d'articles traduits des meilleurs écrits périodiques de la Grande-Bretagne, sur la littérature, les beaux-arts, les arts industriels, l'agriculture, le commerce, l'économie politique, les finances, la législation, etc., 14 février 1847, p. 349.

[27] Gleason’s Pictorial, February 12, 1853.

[28] Commettant (O.), Trois ans aux États-Unis : étude des moeurs et coutumes américaines, Paris, Pagnerre, 1857, p. 293.

[29] Ibid.

[30] Voir la collection en ligne de Jonathan King du Musée de Londres.

[31] New York Times, 15 février 1866

[32] « A fatal Valentine », in Newport Mercury, 20 février 1847, p. 2.

[33] Sa lettre du 18 février 1868 sur le sujet a fait l’objet de plusieurs reproductions, commedans Le Mutilé de l'Algérie. Journal des mutilés, réformés et blessés de guerre de l'Afrique du Nord, 23 février 1919, p. 2-3.

[34] Le Temps, 18 février 1868., n.p.

[35] Journal officiel de l’Empire français, 14 février 1869, p. 193.

[36] Ibid.

[37] The North Platte semi-weekly tribune, February 09, 1917, p. 2.

[38] Figaro : journal non politique, 14 février 1884, p. 3.

[39] Gil Blas, 16 février 1884, p. 1.

[40] Le Gaulois : littéraire et politique, 12 février 1874, n.p.

[41] Le Temps, 18 février 1868, n.p.

[42] Figaro : journal non politique, 15 février 1875, p. 3.

[43] Rose = beauté ; Pensée = pensez à moi ; œillet = amour pure ; géranium = affection ; Violette = modestie ; dahlia = charme ; chèvrefeuille = fidélité ; aubépine = espoir ; houx = attachement ; marguerite = innocence ; lis = pureté ; camélia = perfection.

[44] Archives nationales de France : F18 1746.

[45] Le Petit Journal, 15 février 1891, p. 5.

[46] Figaro : journal non politique, 16 août 1882, p. 4.

[47] L’Intermédiaires des chercheurs, 17 septembre 1882, p. 543.

[48] Le Rappel, 23 mars 1886, n.p.

[49] Le Petit Journal, 15 février 1891, p. 5.

[50] New-York tribune, February 08, 1903, illustrated supplement.

[51] Ibid.

[52] Flobert (L.-P.), « Les Valentines et la Saint-Valentin », in Bulletin de la Société archéologique, historique & artistique le Vieux papier, 1er mai 1912, p. 229-248.

[53] Ibid.

[54] Journal des papetiers, 1er décembre 1913, p. 504.

[55] Informations sur Albert Bergeret in Chmura (S.), « MORINET (Georges, de Nantes) et d’ailleurs : des récréations photographiques aux éditions Patriotic », cartes-postales de Rennes ou d'ailleurs, février 2015. http://cartes-postales35.monsite-orange.fr

[56] Renieu (L.), La Carte Postale Illustrée, considérée au point de vue des arts graphiques et des sujets représentés, Bruxelles, éd. du Musée du livre, 1924, 145 p.

[57] « Most of the comic insults and dainty love tokens are now made in America. Germany lost business when war cut off trade with England and the United States », in « The Manufacture of Valentines », in The Kansas City Sun, February 12, 1916.

[58] The Ogden standard, February 16, 1918, 4, n.p.

[59] Figaro : journal non politique, 12 février 1917, p.2.

[60] Le Gaulois, 15 février 1922, p.1.