Les cartes-postales « B.F. » 

au rameau fleuri

RAMEAU BF

Entre 1899 et 1903, l’imprimerie parisienne spécialisée en « Impressions Photomécaniques – photographie industrielle - Berthaud Frères » publie au moins seize vues de Rennes et colorise à l’aquarelle celles qui sont les plus susceptibles d’être demandées par les touristes[1].

Pour citer cet article :

Chmura Sophie, « Les cartes-postales « B.F. » au rameau fleuri», cartes-postales de Rennes ou d'ailleurs, mis en ligne le 12 juin 2020, http://cartes-postales35.monsite-orange.fr, consulté le

La société « Berthaud Frères » avait été constituée 9 rue Cadet à Paris le 2 août 1880[2] par Michel Berthaud (Vienne, 9 novembre 1845-Bragny-sur-saöne, 1912[3]) et son demi-frère Michel Gabriel Berthaud (Seurre, 4 février 1852 – Bragny-sur-Saône, 1925[4]), fils du photographe parisien Jean Berthaud (Romans-sur-Isère, 7 mai 1819 – Bragny-sur-Saône, 28 mai 1885)[5].

Berthaud Frères (2)

En 1876, Michel Berthaud, qui avait commencé à travailler en 1868 avec le peintre photographe Étienne Prosper Berne-Bellecour (Boulogne-sur-Mer, 29 juillet 1838- Paris, 29 novembre 1910)[6], reçoit une médaille de bronze par l’Union centrale des Beaux-Arts pour son travail en matière d’«Art appliqué à la vulgarisation »[7] et en 1878, lors de l’Exposition Universelle de Paris, il obtient une médaille d’argent pour ses photographies et tirages aux encres grasses[8].

9rueCadet

En 1882, l’entreprise « Berthaud Frères » est récompensée par une médaille d’or lors de l’exposition des Beaux-Arts appliqués à l’Industrie. Le travail de Michel et Gabriel est de nouveau remarqué en 1889 à l’Exposition Universelle de Paris. En 1892, Michel Berthaud devient vice-président puis, en 1896, président de la Chambre syndicale de la photographie et de ses applications.

Durant les années 1890, avec son frère, ils font prioritairement des impressions photographiques aux encres grasses par presses mécaniques. En 1897, ils produisent déjà des albums de 12 sujets et des cartes-postales. Ils vendaient les albums 55 centimes si l’acheteur commandait 1000 exemplaires, 50 centimes s’il en prenait 2000 ou 45 centimes pour 3000[9]. Ces albums étaient généralement vendus 1 franc 50 au public, ce qui faisait un très joli bénéfice pour les commerçants.

Berthaud

En 1900, l’imprimerie déménage 31 rue de Bellefond. Elle est reprise par Pierre et Alexandre Catala le 25 février 1910[10].

L’entreprise Berthaud Frères créait les cartes-postales à la demande, « soit d’après clichés ou documents fournis par les clients, soit en envoyant un opérateur de la maison »[11]. Le nom du photographe n’est malheureusement pas indiqué sur les cartes-postales de Rennes. Les clichés rennais semblent avoir été utilisés exclusivement pour la série de cartes-postales sur la ville, il est donc impossible d’avancer l’identité de leur auteur.

1907

Les cartes B.F., Paris (rameau fleuri) de Rennes les plus susceptibles d’être trouvées sont celles de la gare ; du lycée ; des quais Duguay-Trouin et Lamennais ; de la statue d’Edgard Le Bastard ; de la statue de Leperdit ; du Monument des Défenseurs ; du Palais de Justice ; de l’église Saint-Germain ; de l’église Saint-Melaine ; de la Cathédrale ; du Jardin des Plantes ; de la volière du Thabor ; de l’église Toussaints ; du Théâtre ; de la maison dite le Château branlant ; des Portes Mordelaises.

Mission

quai 2

Les monuments et édifices photographiés sont ceux qui sont mis en avant dans les itinéraires de visite des guides de tourisme émis entre 1900 et 1905. Un des exemples types est le texte du Guide Baedeker de 1902 (il manque seulement un détour par la croix de la Mission qui apparaît dans le guide Conty). Le Nord-Ouest de la France est un des cinq volumes de la collection Baedeker consacrée à la France. Dans la préface, il est décrit comme « un guide pratique et sérieux, offrant aux voyageurs les renseignements nécessaires pour bien voir, sans perte de temps et sans trop de frais, les principales curiosités de la région qu’il comprend. Il s’abstient par conséquent, aujourd’hui où l’on voyage rapidement et veut voir beaucoup de pays, de donner des détails inutiles au touriste, et il ne mentionne que les choses qui le méritent réellement, en indiquant le meilleur chemin pour les trouver et suivant l’ordre dans lequel elles se présentent »[12]. Les éléments remarquables sont en gras dans le texte, alors que les italiques servent avant tout à orienter le visiteur en mettant en avant les éléments intéressants qui rythment son parcours. Un astérisque marque ce qui est particulièrement recommandable. L’itinéraire débute à la gare et s’appuie sur un plan  :

IMG_6843

« Un quartier moderne, très bien bâti, sépare la gare (pl. D5) de la ville proprement dite, située sur la rive dr. de la Vilaine.

Gare

A g., un peu à l’écart de l’avenue de la Gare, est le champ de Mars, vaste place avec le monument des soldats d’Ille-et-Vilaine morts en 1870-71, pyramide précédée d’une figure allégorique en bronze par Dolivet, de Rennes.

Monument 1870

Dans le bas de l’avenue, à g., le lycée (pl. C3), construction imposante dans le style Louis XIII, par Martenot, de Rennes, avec une belle chapelle. Il occupe l’emplacement de l’anc. Collège de jésuites, dont il reste l’église Toussaints (p. 254). C’est dans une salle du lycée que fut jugé le second procès Dreyfus, en août 1899.

Lycée

Au-delà, sur le quai, le palais universitaire, édifice moins remarquable, élevé de 1849 à 1855, sur les plans de Boullé.

Le *musée (pl. C3), qui occupe une partie de ce palais, est une des principales curiosités de Rennes. […]

A peu de distance à dr. derrière le palais universitaire est l’église Toussaints (pl. C3), l’anc. Chapelle du collège des jésuites, du XVIIe s. On en remarque surtout le maître autel, qui est très riche, avec un retable en grande partie doré, et la chaire, également fort belle.

Toussaint

Au-delà de l’université, en continuant à suivre le quai à g., on voit le palais du Commerce, commencé en 1887 sur les plans de Martenot et dont une partie seulement est terminée. Il est occupé par une école des Beaux-Arts, le cercle du Commerce, la poste, etc.

Quai 1

Devant ce palais, la statue de Le Bastard, anc. maire de Rennes, mort en 1892, qui a beaucoup fait pour la transformation et l’assainissement de cette ville, bronze par Dolivet.

Le Bastard

Le pont de Berlin, à dr. du quai de l’Université, et la rue qui fait suite, mènent à la belle place du Palais (pl. BC 2-3), une des principales de la ville.

Le Palais de Justice (pl. C2), en face, en est aussi un des principaux monuments. Il a été construit de 1618 à 1654, pour le parlement de Bretagne, par Courmeau, sur les plans de Jacques Debrosse, l’architecte du Luxembourg, à Paris. Sa lourde façade est précédée des statues érigées en 1842, de quatre jurisconsultes de Bretagne : d’Argentré (1519-1590), par Lanno ; La Chalotais (1701-1785), par Suc ; Gerbier (1725-1788), par Molknecht, et Toullier (1752-1835), par Gourdel. Au sommet, quatre statues allégoriques en plomb, par Dolivet.

Parlement

[…]

A dr. Un peu plus bas, en revenant du palais, se trouve une autre belle place, la place de la Mairie (pl. B3), avec l’hôtel de ville et le théâtre. Les tramways, dont elle est le centre lui donnent maintenant de l’animation.

L’hôtel de ville (pl. B3) a été construit après le grand incendie, sur les plans de Gabriel, architecte de Louis XV. Il se compose d’un bâtiment en hémicycle entre deux pavillons, avec un beffroi terminé par un dôme bulbeux. La niche du bas renfermait avant la Révolution une statue de Louis XV, avec figures allégoriques, par Lemoyne. On peut faire l’ascension de la tour, en s’adressant au concierge.

A côté, au N., dans l’anc. Présidial, est la bibliothèque, qui compte près de 80 000 vol., 598 man. et 103 incunables.

[…]

Mairie

Le théâtre (pl. BC3), qui ne date que de 1831-1835, forme de son côté, en face de l’hôtel de ville, une demi-rotonde en saillie sur la place. La façade est couronnée des statues d’Apollon et des Muses, par Lanno. Il y a sous les arcades des cafés et des magasins.

Théâtre

Prenant maintenant la rue du Guesclin, à dr. de l’hôtel de ville, on arrive à l’église St-Sauveur (pl. B3), qui est du XVIIIe s., mais renferme quelques œuvres d’art remarquables : maître autel à baldaquin, tableaux anciens, chaire, bas-relief représentant le mariage de la Vierge, à l’autel de dr. ; statues de St Pierre et St Paul, vitraux modernes.

La cathédrale (pl. A3), un peu plus loin, est de fondation très ancienne, étant la quatrième à cet endroit, mais elle a été reconstruite en majeure partie au XIXe s. Elle a sur la rue de la Monnaie un portail dans le style classique, avec trois ordres de colonnes superposés. Les tours sont de 1541-1703 et de divers styles. L’intérieur présente un vaste vaisseau d’une largeur imposante, à trois nefs, ayant de chaque côté 10 énormes colonnes, sans compter celles du transept et du chœur (16), très richement décoré, surtout de peintures par Le Hénaff et Jobbé-Duval. Dans la dernière chapelle du bas côté de dr., un très beau retable, en bois peint et doré, ouvrage allemand du XVe s. Dans le bras g. du transept, le monument du cardinal St-Marc (de Rennes ; 1803-1878), par les frères Valentin.

cath

Dans une ruelle en face de la cathédrale, la porte Mordelaise, reste des fortifications du XVe s., enclavée dans de vieilles maisons. Les ducs et les évêques faisaient là leur entrée dans la ville.

porte

Plus loin à dr. dans la même direction, l’église St-Etienne (pl. A2), du XVIIe s., qui a à l’intérieur des statues par Barré, le Christ à la colonne, la Madeleine et Ste Anne, de beaux vitraux par Lavergne et un tableau par Jourjon, de Rennes, la Multiplication des pains.

Suivre maintenant la rue de la Monnaie jusqu’à la quatrième à g. Là se trouve, sur une petite place, dans un vieux quartier, la statue de Leperdit, maire de la ville sous la Terreur, qui eut le courage de résister au féroce Carrier (p. 356), bronze, par Dolivet.

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Plus loin, Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle ou en-St-Aubin (pl. B2), grande et belle église inachevée, dans le style goth., commencée en 1884 sur les plans de Martenot. – Prendre à l’E. la rue St-Melaine, qui conduit à

Notre-Dame-en-St-Melaine (pl. D2), une anc. abbatiale des XIe-XIIIe s., avec un clocher sur lequel on a placé en 1867 une statue dorée de la Vierge. Elle a de jolies sculptures à la façade et il y a à l’entrée un monument funèbre moderne, par les frères Valentin. A l’intérieur, un maître autel monumental, une clôture goth. En bois et d’autres boiseries. – A g. de l’église l’archevêché, du XVIIe s., une partie de l’anc. abbaye de St-Melaine, avec un cloître qui a aux arcades de belles sculptures de l’époque.

Melaine

Le Thabor (pl. D2), à dr., l’anc. jardin de l’abbaye, est la principale promenade de Rennes. On y voit une statue moderne médiocre de du Guesclin, qui naquit aux environs de cette ville en 1314 ou 1320, et une statue de la Liberté, par Barré, sur une jolie colonne, en mémoire des Rennais Vanneau et Papu, tués à Paris à la révolution de 1830.

Il y a à la suite du Thabor un beau jardin des Plantes (pl. D2), toujours ouvert au public et d’où l’on a une belle vue. A l’entrée, Mercure enlevant Eurydice à Orphée, et plus loin, la Chasse de Diane, marbres par Ch. Lenoir.

Jardin

Jardin T

Revenu à la place St-Melaine, on redescend par la rue à g.

A g., la préfecture, belle construction moderne. Plus bas, la petite promenade délaissée de la Motte, sur l’emplacement d’une ancienne motte féodale. La rue Victor-Hugo ramène à dr. à la place du Palais, tandis que la rue Gambetta, qui a de beaux hôtels particuliers, descend tout droit à la Vilaine. A dr., la petite rue Corbin conduit à l’église St-Germain, du style gothique, avec deux belles verrières dans le bas côté droit et au chœur.

Germain


Sur le quai se trouve le second palais universitaire (pl. CD3), belle construction neuve en pierre qui contient la faculté des sciences. De l’autre côté de la rivière, l’avenue de la Gare. »[13]

La période des prises de vue entre 1899 et 1901 est confirmée par le dos uni des cartes (antérieur à novembre 1903[14]), mais également grâce à quelques recherches sur les commerçants dont les enseignes sont clairement lisibles sur les clichés.

Les détails sur la photographie de la statue de Leperdit sont comparables à ceux de la photo prise, puis utilisée en 1899 par Ange Colombo dans sa série signée « B. - A.C. succ. » pour « Binda – Ange Colombo successeur, éditeur à Rennes ». Les personnes dont les noms apparaissent sur les enseignes sont recensées tous ensembles seulement dans la liste nominative de 1901[15].

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Détail carte-postale B.F.

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Détail carte-postale B.-A.C. succ.

BAC leperdit

Sur la carte-postale des portes Mordelaises, l’enseigne du Café-Cidre « Au fort Chabrol » est neuve. Auparavant, l’enseigne portait les noms du couple « Rahier-Dayot ». Pierre Marie Rahier, menuisier (né à Pacé le 14 février 1855- ?) avait épousé le 14 mai 1888 Bonne Julienne Dahiot/Dayot (Née à Iffendic le 16 juillet 1836), veuve, en premières noces de l’encaveur Jean-Baptiste Berthaud et, en deuxièmes noces, du débitant Eugène Alain Rallier. Au moment de son 3ème mariage, Julienne Dahiot/Dayot est débitante au Café-Cidre situé rue des Portes-Mordelaises. Elle décède le 1er aout 1898. Pierre Rahier se remarie le 18 octobre 1899 avec Augustine Coudray (née à Redon le 16 août 1856).L’enseigne ne porte plus dès lors que le nom de Rahier. En 1906, le Café-Cidre de la rue des Portes-Mordelaises est tenu par Pierre Marie Joseph Ridel (né à Rennes le 21 août 1869) et son épouse Marie Joséphine Dutour (née à Pacé le 27 novembre 1869).

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BAC Mordelaise

Détail carte-postale B.F.

Détail carte-postale B.-A.C. succ.

NDPhot mordelaise

LL Mordelaise

Détail carte-postale ND Phot. E. Mary-Rousselière, cliché pris vers 1896

Détail carte-postale LL 

Sur la gauche du cliché de l’église Saint-Germain apparaît une enseigne qui porte les noms « Macé-Berthelot ». Jean-Marie Macé (né à Redon le 17 août 1852) était sellier et marchand de meubles. Son épouse Eulalie Berthelot (née à Rennes le 20 janvier 1858) était brocanteuse. Jean-Marie Macé décède le 30 novembre 1905. Son épouse fait alors refaire l’enseigne à son seul nom.

Macé berthelot

Berthelot MTIL

Détail carte-postale B.F.

Détail carte-postale MTIL


[1] Chmura (S.), « Rennes en couleurs, 1900-1920 », http://cartes-postales35.monsite-orange.fr/page-5c5d494164c16.html

[2] Journal des sociétés civiles et commerciales, 1880, p. 118.

[3] Emplacement 2-2 au cimetière communal de Bragny-sur-Saone (71350), détails de la sépulture : deux carrés, deux tombes, 7 sépultures.

[4] Emplacement 2-2 au cimetière communal de Bragny-sur-Saone.

[5] Jean Berthaud débute comme fabricant de draps à Vienne (Isère). En 1863, il est répertorié comme photographe à Paris. Le 15 octobre 1864, il est déclaré comme chimiste et crée avec Louis Joseph Garin, chimiste, demeurant 10, avenue de l'Hippodrome à Boulogne-Billancourt et Eugène Gustave Louis Guilleminot, chimiste, demeurant 26 cité Trévise une société en nom collectif « Garin-Guilleminot et Berthaud », siège social 9 rue Cadet à Paris ayant pour objet l'exploitation d'un fonds de commerce et de fabrication de produits chimiques et d'appareils photographiques. Cette société est dissoute en mars 1868(Archives Nationales : Minutes et répertoires du notaire Jean Claude POTIER de LA BERTHELLIÈRE, 3 décembre 1853 - 29 mai 1891 (étude LXXI), MC/ET/LXXI/332 - MC/ET/LXXI/561, MC/RE/LXXI/15 - MC/RE/LXXI/21 - MC/ET/LXXI/413.)

[9] Collection privée :correspondance 1897.

[10] La société en nom collectif Catala Frères est formée le 25 février 1910, elle avait pour objet « l’industrie de la photographie et de la phototypie, et généralement la suite des affaires de l’ancienne maison Berthaud frères », in L’information photographique, janvier 1910, p. 151.

[11] Annuaire-almanach du commerce, de l'industrie, de la magistrature et de l'administration, 1907, p. 1254.

[12] Nord-Ouest de la France de la frontière belge à la Loire excepté Paris, Manuel du voyageur par K. Baedeker, Leipzig/Paris, Karl Baedeker/Paul Ollendorff, 1902, préface, n.p.

[13] Nord-Ouest de la France de la frontière belge à la Loire excepté Paris, Manuel du voyageur par K. Baedeker, Leipzig/Paris, Karl Baedeker/Paul Ollendorff, 1902, p. 252-256.

[14] Chmura (S.), « Que le diable emporte celui qui a inventé les cartes postales ! Critiques des cartes postales illustrées en 1903 », cartes-postales35.monsite-orange.fr/page-5b6070dd5ab9e.html

[15] Archives Municipales de Rennes 1F92.