Veuve Vagneur, 

éditrice de vues de Bretagne

signature

Durant les années 1870-1880, la Veuve Vagneur, photographe parisienne spécialisée dans les souvenirs visuels de pèlerinage, édite, sous divers formats, des clichés pris par ses confrères en Bretagne. L’image de la Bretagne n’est plus alors seulement véhiculée par l’écrit et les estampes auprès d’un public érudit et bourgeois : la photographie contribue désormais à faire connaître la province à un public plus large à Paris comme objet de collection, mais également localement, comme produit touristique.

Pour citer cet article :

Chmura Sophie, « Veuve Vagneur, éditrice de vues de Bretagne », cartes-postales de Rennes ou d'ailleurs, mis en ligne le 1er septembre 2020. http://cartes-postales35.monsite-orange.fr, consulté le

Cet article contient des images issues des collections du Musée de Bretagne à Rennes (Marque du domaine public)

Angélique Aublin naît à Paris le 31 janvier 1822. Elle se marie le 8 juin 1848 dans le 10e arrondissement avec Marc Just Vagneur (Saint-Marcellin, 3 avril 1811 – Saint-Maurice, 23 avril 1855).

Marc Vagneur, fils d’orfèvre, était coloriste. Il devient limonadier en juillet 1850 quand il s’associe à son beau-frère, Antoine François Aublin (Paris, 2 septembre 1814 - 27 mars 1876) pour l’exploitation d’un café-concert dans le quartier de l’Odéon, dans le 6e arrondissement de Paris, 27 rue Madame, « avec sortie sur le jardin du Luxembourg, dans l’axe de l’avenue des Platanes »[3]. Vagneur et Aublin avaient formé une société en nom collectif pour l’exploitation de ce café-concert, depuis le premier mai jusqu’au premier octobre de chaque année, pour une durée fixée à douze ans, et ce, à partir du 15 juillet 1850[4]. Le 31 mars 1855, un jugement du tribunal civil de première instance de la Seine « prononce l’interdiction du sieur Marc-Just Vagneur, demeurant à Paris, rue Martel, 8, ci-devant, et actuellement à la Maison de Santé de Charenton, à Charenton » [5]. Marc Vagneur décède 51 Grande Rue à Saint-Maurice trois jours après cette décision de justice.

Aucune information précise n’apparait alors sur son épouse Angélique Aublin. Il faut attendre l’Annuaire-almanach du commerce de 1870 pour apprendre qu’elle est photographe 19 rue Drouot[6]. Elle apparaît seulement sous son nom marital « Vagneur ». Durant les années 1870, le studio de la « Photographie Drouot » avait un personnel exécutant important. Il est tout à fait possible que ce soit là qu’Angélique ait appris le métier de photographe.

Lors du mariage de sa fille Félicie Marie Vagneur (Paris, 27 février 1848 – 20 avril 1923), le 8 mai 1872, il est signalé qu’elle est photographe 22 rue Tournefort. Elle propose alors essentiellement à la vente des spécialités pour pèlerinage sous le nom de « Veuve Vagneur ».

22 tampon

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En 1875, elle est accusée par la maison d’art religieux Bonasse-Lebel d’avoir contrefait des images. L’imagier ne réussit pas à justifier sa propriété sur les images de Sainte Radegonde, l’apparition du Sacré-Cœur, Notre-Dame de Myans, Notre-Dame de l’Oratoire, Consolatriz afflictorum, Notre-Dame de Bonnecontre, le calvaire de Verdelais et Sainte Agrapie, mais il avait bien fait un dépôt concernant les images de Sainte Germaine, du Sacré Cœur de Marie, Notre-Dame de Talence, Notre-Dame d’Arcachon et Notre-Dame de Verdelais. Le 23 septembre 1874, la police de Paris avait saisi chez la Veuve Vagneur les clichés ayant servi à la reproduction de ces dernières images ce qui l’a rendu coupable du délit de contrefaçon comme prévu par l’article 425 du code pénal. Elle est donc condamnée à 100 francs d’amende et à 100 francs de dommages-intérêts[7].

souvenir pèlerinage

Exemple de carte souvenir de pèlerinage éditée par la Veuve Vagneur. Collection privée

En 1877, elle exerce 171 rue Saint-Jacques.

171

En 1879, sa publicité précise qu’elle propose de la photographie microscopique[8]. La photographie microscopique est alors utilisée par nombre de photographes pour produire « un grand nombre d’images ayant un millimètre carré environ ; ce sont des épreuves positives copiées à la chambre noire d’après des négatifs ordinaires représentant divers sujets, paysages, tableaux, gravures, etc. Ces positives, obtenues sur verre, sont ensuite séparées une à une au diamant, collées avec du baume de Canada à l’extrémité plane d’un petit cylindre de cristal dont la surface opposée est travaillée en forme convexe, de manière à former une très forte loupe dite stanhope […] Cet ensemble est ensuite monté sur les objets le plus divers, médaillons, porte-plumes, petites lorgnettes, breloques et articles de Paris de toutes formes, objets qui se vendant dans les bazars, les bains de mer, les villes d’eaux, etc. »[9]

En 1885, elle travaille avec son gendre Arnoult Désiré Lépine (Pont Sainte-Maxence, 20 mars 1845 – Paris, 16 mai 1896), bijoutier[10]. À la fin des années 1880, il lui succède et continue à éditer des photographies, mais il continue surtout à faire de la photographie microscopique sur verre car sa vraie spécialité consiste à produire des bijoux religieux. À sa mort en 1896, Félicie, son épouse travaille sous la raison sociale de Veuve Arnoult-Lépine ainé.

C’est en 1879, que la veuve Vagneur propose pour la première fois dans ses publicités des « vues de Bretagne en tous formats »[11], même si elle en vendait déjà 22 rue Tournefort.

Vitré

Château de Vitré, carte format cabinet éditée par la Veuve Vagneur, collection privée

vitré musée

Musée de Bretagne, portrait en costume de Vitré, numéro d'inventaire : 981.0004.17, permalien de la notice : http://www.collections.musee-bretagne.fr/ark:/83011/FLMjo140292

Elle imite ici certains de ses confrères parisiens, comme Casimir Ferdinand Carlier (Versailles, 9 août 1829 – Paris, 1er septembre 1893) qui vendait déjà depuis quelques années des vues de Bretagne et des clichés de costumes traditionnels[12].

Carlier

Carte format cabinet éditée par Carlier, collection privée

Bien que photographe, elle constitue sa collection de vues de Bretagne grâce aux travaux d’autres photographes. Elle n’est donc pas « la » photographe de l’ensemble de sa collection, mais bien l’éditrice de photographies de Bretagne, qu’elle vend, ou fait vendre, sous la forme de cartes en format cabinet, en grand format sur feuille cartonnée, voire sous la forme de cartes-stéréo.

Rennes 1

Carte format cabinet de l'hôtel-de-ville de Rennes. Ce cliché existe en format carte-stéréo dans la série "France-Monumentale" éditée par la Veuve Vagneur, comme  la carte-stéréo de l'église Notre-Dame de Rennes (ci-dessous), collection privée. 

stéréo 2-1

stéréo 2-11100

ND

Musée de Bretagne, église Notre-Dame de Rennes, numéro d'inventaire : 981.0004.184, permalien de la notice : http://www.collections.musee-bretagne.fr/ark:/83011/FLMjo227912

Certaines cartes de la collection de la Veuve Vagneur ne portent pas son nom ou seulement les initiales « VV ».

VV

Quelques libraires en Bretagne appose leur nom au dos des photo-cartes, comme Jean-Marie Bienvenu Valeins (Auray, 9 mai 1844 – 27 décembre 1900), librairie-papetier, dit Valeins Fils, à Auray.

auray

En l’absence de signature, il est difficile de dire qui sont les photographes des vues de Bretagne, cependant il est possible d’en identifier certains, en particulier ceux qui ont photographié des costumes : en effet, ils avaient vendu auparavant, à leur nom, ces clichés. Ainsi, l’artiste-peintre de tableaux et d’objets mobiliers François Ernest Corroller (Lorient, 5 novembre 1822 – Larmor-Plage, 7 octobre 1893) est l’auteur de nombreux clichés des costumes du pays de Lorient et du sud Finistère de la collection Vve Vagneur. Il vivait 2 rue du Commerce à Lorient et il enseignait le dessin au lycée de la ville. Il quitte la ville en août 1887.

Corroller

Lorient 1

lorient 2

Ces deux femmes de Lorient ont été photographiées par Corroller. La Veuve Vagneur a édité les deux clichés avec une légende contrairement à Corroller, collection privée. 

  


[1] Revue municipale et gazette réunies, 26 février 1862.

[2] « La chope a encore dans le quartier latin, outre les temples que je viens de citer, un autel splendidement et richement élévé en son honneur, - de ce voici dix ou douze ans déjà, - par un sieur Aublin, qui lui a donné le titre pompeux et sonore de « café concert » avec l’accompagnement voulu de lustres, de tables vertes, d’estrade blanche ornée de femmes roses, et d’orchestre criard. Il se garnit lentement jusqu’à huit heures, et, à neuf, comble à suffocation, comme dit si élégamment l’Opinion nationale, il se vide à partir de dix. Le café chantant est situé, l’hiver, rue Contrescarpe, près de Magny, l’été, rue Madame, non loin de Bobino. Ouvert tous les soirs, à sept heures, il est clos à onze. Là, toutes les dames du quartier viennent attendre ou faire poser leur amant, accrocher une consommation, soutirer une orange ou un bouquet, selon la saison, flairer le souper qui peut leur tomber sous la dent. La plupart n’ont pas dîné cinq fois sur dix. D’autres en revanche ont si bien dîné que c’est un échange de cris, une association d’engueulades qui donnent fort affaire aux agents de l’autorité. Sous la forme de sergents de ville, et sous celle aussi des gardes de Paris, sur le tard, ceux-ci flanquent la salle aux quatre coins, cernent les contrevenants, et font respecter comme se peut, l’ordonnance affichée sur deux planches blanches, en lettres noires : PAR ORDRE DE L’AUTORITÉ, LES CRIS ET LES APPLAUDISSEMENTS BRUYANT SONT DÉFENDUS. TOUT CONTREVENANT SERA IMMÉDIATEMMENT EXPLUSÉ ET ARRÊTÉ, S’IL Y A LIEU. Parfois, aussi, ils guettent une de ces malheureuses, sur les traces de laquelle la police est depuis quatre ou cinq jours, dans l’intérêt de la sécurité publique. Dans ce café, dont la vogue a été grande surtout pendant les deux dernières années, et dont on commence à se lasser comme on se lasse ici de tout, grouillent et fourmillent à peu près pêle-mêle toutes les classes possibles, toutes les sociétés imaginables, toutes les professions connues. Le rapin, flanqué de modèles débraillés, coudoie l’épicier en sortie, meublé, comme le recteur suivi des quatre facultés, de sa femme, de sa bonne et de ses deux filles. Le savetier qui fait le lundi se paie volontiers le luxe de chanteuses bien vêtues et de consommations plus chères qu’à la barrière. » Robert (E.), Petits mystères du quartier latin, Paris, Librairie moderne, 1860, p. 58-60.

[3] Revue municipale et gazette réunies, 26 février 1862.

[4] Le Droit : journal des tribunaux, 26 juillet 1850.

[5] Gazette de l’industrie et du commerce, 29 avril 1855. Sur la Maison de santé de Charenton : « L’institution, située dans la commune de Saint-Maurice, près du bois de Vincennes aux portes de Paris est étroitement liée dans les représentations collectives à la folie elle-même, comme en témoigne sa présence dans le langage courant sous un vocable péjoratif synonyme d’aliénation, exprimé familièrement dans la locution « il est bon pour Charenton »La célébrité précoce de l’établissement fut dailleurs à lorigine sur les lieux de son implantation de la création de nombreuses communes avoisinantes, afin d’éviter la mention du nom de Charenton sur les actes de décès, qui laissait à penser que le défunt était mort dans l’asile, cause évidente de gêne dans les familles. […] De taille réduite, accueillant peu de pensionnaires au regard de l’importance des hospices et autres asiles de Paris et de ses environs, comme la Salpêtrière, Sainte-Anne, Bicêtre ou encore la Pitié, la Maison de Charenton, très tôt spécialisée dans l’assistance et les soins apportés aux insensés fait figure de modèle original dans l’expérience psychiatrique française. », Mesmin d’Estienne (J.), « La Maison de Charenton du XVIIe au XXe siècle : construction du discours sur l’asile », in Revue d’histoire de la protection sociale, 2008/1, n°1, p. 19-35.

[6] Annuaire-almanach du commerce, de l'industrie, de la magistrature et de l'administration : ou almanach des 500.000 adresses de Paris, des départements et des pays étrangers, Paris, Firmin-Didot, 1870, p. 1480. Le studio « photographie Drouot » est par la suite occupé par G. Marcel, puis en 1877 par E. Laurens et G. Marcel (opérateur-gérant) [Journal officiel de la République française, 5 juin 1877], en 1878 par E. Laurens et V. Figanière [Archives commerciales de la France, 24 mars 1878],

[7] Le Petit Journal, 6 juillet 1875.

[8] Annuaire-almanach du commerce, de l'industrie, de la magistrature et de l'administration : ou almanach des 500.000 adresses de Paris, des départements et des pays étrangers, Paris, Firmin-Didot, 1879, p.1392.

[9] Davanne (A.), La photographie : traité théorique et pratique, tome 2, Paris, Gauthier-Villars, 1886-1888, p. 455-456.

[10] Annuaire-almanach du commerce, de l'industrie, de la magistrature et de l'administration : ou almanach des 500.000 adresses de Paris, des départements et des pays étrangers, Paris, Firmin-Didot, 1885, p. 826.

[11] Annuaire-almanach du commerce, de l'industrie, de la magistrature et de l'administration : ou almanach des 500.000 adresses de Paris, des départements et des pays étrangers, Paris, Firmin-Didot, 1879, p. 1392.

[12] Ferdinand Carlier a exercé à Vannes 16 place Napoléon dans les années 1850-1860. Il quitte la Bretagne pour Paris en 1869. Il vend des vues de Bretagne durant toute sa carrière.